Le fusing, c’est ma peinture. Que puis-je dire de plus proche de ce que je ressens, depuis que j'ai découvert cette technique ?
Le fusing, est une technique de verre à chaud, d’abord composé à froid puis fusionné en four. L’effet est différent avant et après cuisson, avec toujours cette magie de la fusion par le feu, et de l’arrondissement du tranchant du verre. C’est l’art de partir des lignes, de travailler l’espace autrement, d’aller vers la matière et vers la liberté tout à la fois.
La grande propriété du fusing par rapport au vitrail, c’est la liberté. Je veux sortir du sertissage et du cloisonnement. Le plomb est magnifique parce que technique, mais moins j’en aurai dans les mains, plus pur et plus profond sera l’univers qui naîtra du seul verre. La ligne de plomb accompagne, souligne le geste et la forme : or je veux essayer de faire ça uniquement avec mon verre. Avec mes anciens fours, étroits, je devais composer une mosaïque d’espaces et ensuite les rassembler, donc je revenais souvent au plomb. Avec mon nouveau four, plus grand, le verre seul peut prendre beaucoup plus d’ampleur, je suis beaucoup plus libre de créer le rapport entre des espaces et des lignes qui vont entrer d’elles-mêmes en équilibre.
Jardin japonais, 1, fusing.
La technique du thermoformage, elle, permet de créer des bas-reliefs. Le bas-relief amène un plus dans le travail organique du verre dans la fournaise. C’est le passage de la « 2D » de la pâte de verre à la « 3D » de sa levée, qui crée ces suspensions, ces éclats et ces rondeurs qui caractérisent surtout mes « volumes », mais aussi certains totems.
On a affaire ici à deux techniques de verre à chaud : le fusing fusionne les superpositions de verre ; le thermoformage donne une forme. En principe, on fusionne la pièce puis on la thermoforme, en utilisant des moules standards déjà là, soit des moules que je crée moi-même à base de fibres réfractaires, les plus conductible, ou en céramique. Moi, je fais les deux phases en même temps, je les… fusionne !
C’est important, ce parti-pris. Je ne touche pas le verre en fusion, c’est un choix. Ah, c’est sûr, on peut préférer la sécurité, afin que « rien ne bouge »… Il existe même des sprays exprès, qui fixent avant même que tu chauffes ! Mais là encore, je veux donner toujours plus de place à l’alchimie —même si je sais tout de même où je vais ! Cet état rigide qu’a le verre au départ, je dois en prévoir la déformation, et l’on ne fait pas de dentelle sans prendre le risque que tout ne se brise à la moindre anicroche.
La magie vient quand j’ouvre le four.
Le four : outil, acteur, créateur.
À partir de 700 °C, le verre commence à se déformer : la déformation d’un petit bout de verre peut en entraîner un autre, une brisure peut couler et je ne peux pas tout maîtriser. À 820 °C, le verre fusionne. Là s’opère la fameuse alchimie.
Je peux ouvrir le four à 820 °C, ou quand la température commence à redescendre. En fusion, le verre est blanc et rouge ; plus il descend vers 600 °C, plus les couleurs apparaissent, et là tu découvres… puis tu refermes. Autour de 600 degrés, c’est la re-cuisson par paliers qui dure entre six ou dix heures selon l’épaisseur des verres. À 450°, pareil. Une fois ces paliers passés, il ne faut surtout pas ouvrir le four, mais le laisser revenir seul à température ambiante.
C’est à cette étape, tout particulièrement, que des tensions peuvent se créer. De même, pendant la cuisson, les accidents peuvent arriver : le verre peut se dévitrifier, changer d’aspect, devenir opaque, perdre de sa brillance.
Quand je parle d’ « alchimie », ce n’est pas qu’une image. La superposition devient création sous mes yeux : je n’y peux alors plus rien, j’ai fait tout ce que je pouvais et je suis déjà devenue spectatrice du feu, qui est le co-auteur de mes œuvres.
Hommage au printemps, Triptyque jaune, fusing.